édito de la Newsletter AEI de juin 2013 écrit par Michel Griffon :
Le 22 mai 2013, la FNSEA et la FDSEA 51 ainsi que l’association SYMBIOSE organisaient une journée de réflexion sur la biodiversité et l’agriculture sur la ferme de Benoit et Isabelle Collard à Somme Tourbe. Benoit Collard est intervenu à diverses reprises dans des évènements AEI et la visite d’exploitation organisée par Isabelle, Benoit et Jean Baptiste Collard a été un moment important de débat sur les possibilités d’augmenter la biodiversité dans les exploitations agricoles de Champagne crayeuse sur la base de leur réflexion, leur expérience et leur engagement. Un excellent dossier avait été préparé par SYMBIOSE. Nous reprenons ici quelques éléments de réflexion à partir d’informations de ce dossier et recueillies au cours de la visite.
Il en va de la variété de la biodiversité comme de la variété des situations écologiques. Celle de la Champagne crayeuse est spécifique comme est spécifique celle du Léon ou celle du Plateau de Millevaches. Ce qui les relie, c’est que toutes les « biodiversités régionales » ont une histoire, mais cette histoire leur est spécifique autant que leurs milieux. C’est sur cette base qu’il faut raisonner la biodiversité.
Une histoire du paysage
La Champagne crayeuse a donc sa propre histoire comme le dossier de SYMBIOSE la retrace. Occupée depuis le Néolithique, elle a abrité de nombreuses implantations humaines durables dont les villas gallo-romaines ont été les héritières. Ces implantations s’expliqueraient par le fait que les sols légers de Champagne crayeuse étaient préférés aux sols lourds des plateaux de l’Ile de France. Du Moyen-âge jusqu’au XIXème siècle, outre les jardins vergers proches des habitations, une zone assez étendue pour être fumée par les animaux était cultivée selon une rotation longue à base de seigle, de blé, d’orge, d’avoine, de sarrasin, de trèfle et de luzerne, avec une longue jachère pour le pâturage des moutons. Le « milieu naturel » environnant (1/4 des surfaces seulement) était une pelouse calcicole (« les savarts ») avec du serpolet et des arbres à faible densité. Cette lande était parcourue par les moutons. La pression sur l’utilisation des milieux aurait entraîné de l’érosion et une préférence pour l’élevage des moutons au détriment des surfaces cultivées. La coupe des arbres aurait poussé vers 1750 à planter des pins pour se chauffer et avoir par ailleurs du bois de mine, jusqu’à enrésiner une grande partie des savarts une autre partie restant en forêt de feuillus pour la chasse (les « garennnes »). Mais les pins sylvestres croissent difficilement et sont remplacés progressivement par des pins noirs d’Autriche. Sous le second empire, l’importation de laine d’Australie ruine l’élevage ovin. L’enrésinement se poursuit. Du XVIIIème siècle au XXème, la Champagne crayeuse est restée un paysage de forêt surtout enrésinée, de lande à moutons et de terres cultivées en céréales et production fourragère autour des villages.
A partir de 1950, le déboisement a été systématique pour mettre en valeur les terres et constituer des grandes exploitations agricoles. La motorisation et l’usage d’engrais ont permis d’obtenir des rendements élevés. La craie, réservoir d’humidité, a permis la culture de la betterave.
L’histoire de la biodiversité accompagne celle du paysage
Il est vraisemblable, si l’on se réfère à l’histoire, que la base principale de la biodiversité de l’écosystème soit les savarts : diversité des graminées, des arbustes, des arbres (bien que ce soit plus un paysage de lande que de forêt), le tout abritant des rongeurs (garennes), sans doute des cervidés, sangliers et oiseaux des champs et des bois. La prolifération des moutons a dû sélectionner des espèces végétales. La généralisation des forêts de pins a dû sélectionner les espèces animales. Puis la généralisation d’un paysage cultivé avec quelques îlots de forêt conservée a pu dans un premier temps favoriser la faune de plaine, mais aussi la défavoriser en raison de la suppression de la jachère : perdrix grise, lièvre d’Europe, insectes divers, puis oiseaux se nourrissant des insectes… Il serait important d’essayer de retracer des hypothèses d’évolution de la biodiversité animale et végétale en fonction de l’évolution du paysage agricole. De même, il faudrait s’interroger sur la biodiversité des sols. Il doit y avoir de grandes différences entre les sols proches des villages cultivés depuis plusieurs millénaires et fumés, les sols ayant connu les jachères médiévales puis l’enrésinement, puis l’agriculture moderne, les sols de savarts enrésinés depuis le XVIIIème siècle puis cultivés, et enfin les sols toujours restés forestiers puis déforestés et mis en valeur.
Face à cette complexité, que faire désormais pour la biodiversité ?
Il est fort probable que dans les différents milieux tels qu’ils ont évolué, des fragments d’écosystèmes anciens aient été conservés : composition particulière de la microbiologie du sol, certains insectes, certains oiseaux… Mais, bien évidemment, beaucoup d’espèces ont disparu du paysage, mais certaines les ont remplacées. Dès lors, il faut « réinventer » une biodiversité compatible avec les données de l’évolution du paysage agricole (faune de plaine compatible avec l’agriculture par exemple) et adapter le paysage agricole afin qu’il puisse accueillir une biodiversité recomposée correspondant aux matrices écoystémiques locales préexistantes (maintien de la faune de bosquet par exemple).
Les paysages écologiques de plaine doivent donc rendre compatibles les cultures avec des habitats de faune de plaine : prairies temporaires, jachère fixe, jachère mellifère, bandes enherbées et bandes tampons, bouquets d’arbres, haies. Ces habitats doivent favoriser le retour et l’installation d’une faune auxiliaire de protection des cultures : coléoptères, hémiptères… Les successions culturales et les couvertures végétales doivent être pensées entre autres pour éviter les proliférations d’adventices –habitats de maladies et ravageurs et si possibles bénéfiques en termes d’auxiliaires. Les paysages écologiques de bosquet doivent être respectés ou replantés dans la perspective de réaliser des couloirs écologiques pour la connectivité des écosystèmes : bosquets, bouquets d’arbres sur bandes enherbées… pour les lièvres et certaine oiseaux par exemple.
La principale conclusion est qu’on ne raisonne pas la biodiversité en « noir – blanc » d’une manière toute « administrative » : avant, la biodiversité était bonne, aujourd’hui, elle est mauvaise, il faut donc faire des bandes enherbées et des jachères en quantité respectant la loi ! ». Le raisonnement devrait consister à reconstituer l’histoire des milieux locaux, repérer s’ils existent encore des îlots de biodiversité ancienne en essayant de les étendre et de les prendre comme matrice de base, et enfin de recomposer (recalculer) un paysage utile à l’agriculture elle-même, l’ensemble faisant l’objet d’un plan cartographié parfaitement raisonné et intégré, et révisable en fonction des faits observés. Autrement dit, un plan façonné à partir des connaissances locales du milieu.
Michel Griffon,
juin 2013.
Voir l’article sur la Journée mondiale de la Biodiversité le 22 mai 2013
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